Dans sa nouvelle encyclique Dilexit Nos, publiée ce jeudi 24 octobre, le pape François se penche sur « l’amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ et présente la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, comme une réponse adaptée aux problèmes que traverse le monde moderne. Il oppose la froideur de ce dernier au cœur brûlant de Jésus, le cite comme un recours nécessaire face à la désincarnation et à la déshumanisation tout en lui donnant une dimension unificatrice au message de l’Église.
Extraits choisis.
n. 1 « Il nous a aimés », dit saint Paul, en parlant du Christ (Rm 8, 37), nous faisant découvrir que rien « ne pourra nous séparer » (Rm 8, 39) de son amour. Il l’affirme avec certitude car le Christ l’a dit lui-même à ses disciples : « Je vous ai aimés » (Jn 15, 9-12). Il a dit aussi : « Je vous appelle amis » (Jn 15, 15). Son cœur ouvert nous précède et nous attend inconditionnellement, sans exiger de préalable pour nous aimer et nous offrir son amitié : « Il nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Grâce à Jésus, « nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru » (1 Jn 4, 16).
n. 9 Dans ce monde liquide, il est nécessaire de parler à nouveau du cœur, d’indiquer le lieu où toute personne, quelles que soient sa catégorie et sa condition, fait sa synthèse ; là où l’être concret trouve la source et la racine de toutes ses autres forces, convictions, passions et choix. Mais nous évoluons dans des sociétés de consommateurs en série vivant au jour le jour, dominés par les rythmes et les bruits de la technologie, et dépourvus de la patience nécessaire pour accomplir les processus que l’intériorité requiert.
n. 11 Si le cœur est dévalorisé, alors parler avec le cœur, agir avec le cœur, mûrir et prendre soin du cœur est également dévalorisé. Lorsque la spécificité du cœur n’est pas prise en compte sont perdues les réponses que l’intelligence à elle seule ne peut donner, perdue la rencontre avec les autres, perdue la poésie. Et nous passons à côté de l’histoire et de nos histoires, car la véritable aventure personnelle est celle qui se construit à partir du cœur. À la fin de la vie, c’est tout ce qui comptera.
n. 30 Cela ne signifie pas qu’il faille trop compter sur soi-même. Prenons garde : rendons-nous compte que notre cœur n’est pas autosuffisant, qu’il est fragile et blessé. Il a une dignité ontologique mais, en même temps, il doit chercher une vie plus digne. (…) Allons vers le cœur du Christ, le centre de son être qui est une fournaise ardente d’amour divin et humain et qui est la plus grande plénitude que l’homme puisse atteindre. C’est là, dans ce Cœur, que nous nous reconnaissons finalement nous-mêmes et que nous apprenons à aimer.
n. 51 (…) Personne ne doit penser que cette dévotion pourrait nous séparer ou nous éloigner de Jésus-Christ et de son amour. De manière spontanée et directe, elle nous oriente vers Lui, et vers Lui seul, qui nous appelle à une précieuse amitié faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration. Ce Christ au cœur transpercé et brûlant est le même qui est né à Bethléem par amour, qui a parcouru la Galilée en guérissant, en caressant, en répandant la miséricorde, le même qui nous a aimés jusqu’au bout en ouvrant les bras sur la croix. Enfin, c’est le même qui est ressuscité et qui vit glorieusement au milieu de nous.
n. 59 Amour et cœur ne sont pas nécessairement reliés, car la haine, l’indifférence, l’égoïsme peuvent régner dans un cœur humain. Mais nous n’atteignons pas notre pleine humanité si nous ne sortons pas de nous-mêmes ; et nous ne devenons pas pleinement nous-mêmes si nous n’aimons pas. Le centre le plus intime de notre personne, créé pour l’amour, ne réalise le projet de Dieu que lorsqu’il aime. C’est pourquoi le symbole du cœur symbolise en même temps l’amour.
n. 83 La dévotion au cœur du Christ est essentielle à notre vie chrétienne car elle signifie notre ouverture, pleine de foi et d’adoration, au mystère de l’amour divin et humain du Seigneur, au point que nous pouvons affirmer une fois de plus que le Sacré-Cœur est une synthèse de l’Évangile. Nous devons rappeler que les croyants ne sont pas obligés de croire, comme s’il s’agissait de la parole de Dieu, aux visions ou manifestations mystiques racontées par les saints, qui ont proposé avec passion la dévotion au cœur du Christ. Ce sont de beaux stimuli qui peuvent motiver et faire beaucoup de bien, mais personne ne doit se sentir obligé de les suivre s’il ne trouve pas qu’ils l’aident à avancer dans sa vie spirituelle. Cependant, il est important de garder à l’esprit, comme Pie XII l’a déclaré, que l’on ne peut pas dire que ce culte « viendrait d’une révélation privée »
n. 84 La proposition de la Communion eucharistique des premiers vendredis du mois, par exemple, était un message fort à une époque où de nombreuses personnes cessaient de recevoir la Communion parce qu’elles n’avaient pas confiance dans le pardon divin, dans sa miséricorde, et considéraient la Communion comme une sorte de prix pour les parfaits. Dans ce contexte janséniste, la promotion de cette pratique a fait beaucoup de bien, en aidant à reconnaître dans l’Eucharistie l’amour proche et gratuit du cœur du Christ, qui nous appelle à l’union avec Lui. Elle ferait beaucoup de bien également aujourd’hui pour une autre raison : parce qu’au milieu du tourbillon du monde actuel et de notre obsession pour les loisirs, la consommation et le divertissement, les téléphones et les réseaux sociaux, nous oublions de nourrir notre vie de la force de l’Eucharistie.
n. 85 De même, personne ne doit se sentir obligé de faire une heure d’adoration le jeudi. Mais comment ne pas la recommander ? Lorsque quelqu’un vit cette pratique avec ferveur, avec de nombreux frères, et qu’il trouve dans l’Eucharistie l’amour du cœur du Christ, « il adore avec l’Église le symbole et comme l’empreinte de la charité divine qui a été jusqu’à aimer le genre humain avec le cœur du Verbe incarné ».
n. 88 Je voudrais ajouter que le cœur du Christ nous libère en même temps d’un autre dualisme : celui des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné.
n. 89 Ce sont ces maladies très actuelles, dont nous ne ressentons même pas le désir de guérir lorsque nous nous sommes laissés piéger, qui me poussent à proposer à toute l’Église un nouveau développement sur l’amour du Christ représenté dans son saint Cœur. Là nous rencontrons la totalité de l’Évangile, là se résume la vérité à laquelle nous croyons, là se trouve ce que nous adorons et cherchons dans la foi, là se trouve ce dont nous avons le plus besoin.
n. 121 Cette reconnaissance intense de l’amour de Jésus-Christ que sainte Marguerite-Marie nous a transmise nous offre de précieux stimulants pour notre union avec Lui. Cela ne signifie pas que nous nous sentions obligés d’accepter ou d’assumer tous les détails de cette proposition spirituelle, où, comme c’est souvent le cas, l’action divine est mêlée à des éléments humains liés à nos désirs, à nos préoccupations et à nos images intérieures. Il faut toujours la relire à la lumière de l’Évangile et de la riche tradition spirituelle de l’Église, en reconnaissant tout le bien qu’elle a fait à tant de sœurs et de frères. Cela nous permet de reconnaître les dons de l’Esprit Saint dans cette expérience de foi et d’amour. Plus que les détails, le noyau du message qui nous est transmis peut se résumer dans ces mots que sainte Marguerite-Marie a entendus : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ».
n. 129 Saint Charles de Foucauld et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ont involontairement remodelé certains éléments de la dévotion au cœur du Christ, nous aidant à la comprendre, toujours plus fidèlement à l’Évangile. Voyons comment cette dévotion s’est exprimée dans leur vie. Dans le prochain chapitre, nous reviendrons à eux pour montrer l’originalité de la dimension missionnaire qu’ils ont tous deux développée de manière différente.
n. 132 Le 17 mai 1906, le jour même où frère Charles, seul, ne peut plus célébrer la messe, il écrit avoir promis : « Laisser vivre en moi le cœur de Jésus, pour que ce ne soit plus moi qui vive, mais le cœur de Jésus qui vive en moi, comme il vivait à Nazareth ». Son amitié avec Jésus, cœur à cœur, n’avait rien d’une dévotion intimiste. Elle était la racine de cette vie dépouillée de Nazareth par laquelle Charles voulait imiter le Christ et se configurer à Lui. Cette tendre dévotion au cœur du Christ eut des conséquences très concrètes sur son mode de vie, et son Nazareth s’est nourri de cette relation très personnelle avec le cœur du Christ.
n. 137 Les esprits moralisateurs, qui prétendent garder le contrôle de la miséricorde et de la grâce, diraient qu’elle (sainte Thérèse de Lisieux, NDLR) pouvait écrire cela parce qu’elle était une sainte, mais qu’une pécheresse ne l’aurait pas pu. Ce faisant, ils privent la spiritualité de Thérèse de sa belle nouveauté qui reflète le cœur de l’Évangile. Il est malheureusement devenu courant, dans certains cercles chrétiens, d’essayer d’enfermer l’Esprit Saint dans un schéma qui leur permet de tout superviser. Mais ce sage docteur de l’Église les fait taire et contredit directement cette interprétation réductrice par ces mots très clairs : « Si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent ».
n. 145 Saint Ignace termine ses contemplations au pied du crucifix en invitant le retraitant à s’adresser avec grande affection au Seigneur crucifié, Lui demandant « comme un ami parle à un ami ou un serviteur à son seigneur » ce qu’il devra faire pour Lui. L’itinéraire des Exercices culmine dans la « Contemplation pour parvenir à l’amour », d’où découlent l’action de grâce et l’offrande de « la mémoire, de l’intelligence et de la volonté » au Cœur, qui est source et origine de tout bien. Cette connaissance intérieure du Seigneur ne se construit pas à partir de nos capacités et de nos efforts, mais elle se demande comme don.
n. 154 Il pourrait sembler que cette expression de dévotion n’ait pas de support théologique suffisant. Mais en réalité le Cœur a ses raisons. Le sensus fidelium (la capacité de chaque fidèle à reconnaître ce qui est vrai dans la foi, NDLR) perçoit qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi. Méditer le don de soi du Christ sur la croix est plus qu’un simple souvenir pour la piété des fidèles. Cette conviction est solidement fondée dans la théologie. À cela s’ajoute la conscience de notre péché qu’Il a porté sur ses épaules blessées, et de notre insuffisance devant tant d’amour qui nous dépasse toujours infiniment.
n. 156 (…) L’Évangile n’est pas seulement à réfléchir ou à remémorer dans ses différents aspects, mais à vivre, tant dans les œuvres d’amour que dans l’expérience intérieure. Et cela vaut surtout pour le mystère de la mort et de la résurrection du Christ. Les séparations temporelles que notre esprit utilise ne semblent pas contenir la vérité de cette expérience croyante dans laquelle se fusionnent l’union avec le Christ souffrant et, en même temps, la force, la consolation et l’amitié dont nous jouissons avec le Ressuscité.
n. 158 Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non-correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. Cette expérience nous purifie car l’amour a besoin de la purification des larmes qui, en fin de compte, nous rendent plus assoiffés de Dieu et moins obsédés de nous-mêmes.
n. 160 Je demande donc que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et j’invite chacun à se demander s’il n’y a pas davantage de rationalité, de vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour, qui cherche à consoler le Seigneur, que dans les froids, distants, calculés et minuscules actes d’amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus réfléchie, plus cultivée, et plus mature.
n. 163 Cela nous invite à chercher à approfondir la dimension communautaire, sociale et missionnaire de toute dévotion authentique au cœur du Christ. En même temps que le cœur du Christ nous conduit au Père, il nous envoie vers nos frères (…).
n. 167 Nous devons revenir à la parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour du cœur (du Christ) est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La parole de Dieu le dit avec une totale clarté : « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Toute la Loi trouve sa plénitude dans un seul précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14). (…)
n. 170 S’identifiant aux derniers de la société (Mt 25, 31-46), « Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d’“indignes”. Ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité, selon lequel les êtres humains sont d’autant plus “dignes” de respect et d’amour qu’ils sont plus faibles, plus misérables et plus souffrants – jusqu’à perdre leur “figure” humaine –, a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en situation défavorisée : bébés abandonnés, orphelins, personnes âgées laissées seules, malades mentaux, personnes atteintes de maladies incurables ou de graves malformations, personnes vivant dans la rue ».
n. 177 Saint Bernard, alors qu’il invite à l’union avec le cœur du Christ, utilise la richesse de cette dévotion pour proposer un changement de vie fondé sur l’amour. Il croit possible de transformer l’affectivité, esclave des plaisirs dont on ne se libère pas par une obéissance aveugle à un commandement mais par la réponse à la douceur de l’amour du Christ. Le mal est vaincu par le bien, le mal est vaincu par la croissance de l’amour : « Aime donc le Seigneur ton Dieu d’une affection de cœur pleine et entière ; aime le de toute la sagesse et de toute la vigilance de la raison ; aime le aussi de toute ta force, sans même craindre de mourir par amour pour lui (…) ».
n. 179 Saint Charles de Foucauld voulait imiter Jésus-Christ, vivre comme Il a vécu, agir comme Il a agi, toujours faire ce que Jésus aurait fait à sa place. (…) Le désir d’apporter l’amour de Jésus, par son engagement missionnaire, aux plus pauvres et aux plus oubliés de la terre, l’amènent à prendre comme devise « Jésus Caritas », avec le symbole du cœur du Christ surmonté d’une croix. (…) Ce désir fait de lui progressivement un frère universel car il veut embrasser dans son cœur fraternel toute l’humanité souffrante en se laissant modeler par le cœur du Christ : « Notre cœur, comme celui de l’Église, comme celui de Jésus, doit embrasser tous les hommes ». « L’amour du cœur de Jésus pour les hommes, cet amour qu’Il montre dans sa passion, voilà celui que nous devons avoir pour tous les humains ».
n. 182 Saint Jean-Paul II dit que « la civilisation du cœur du Christ pourra être bâtie sur les ruines accumulées par la haine et la violence » en nous abandonnant à ce Cœur. Cela implique certainement que nous soyons capables de « joindre l’amour filial envers Dieu à l’amour du prochain ». Telle est en réalité « la véritable réparation demandée par le cœur du Sauveur ». Avec le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché. Telle est la réparation que le cœur du Christ attend de nous. Au milieu du désastre laissé par le mal, le cœur du Christ veut avoir besoin de notre collaboration pour reconstruire le bien et le beau.
n. 183 Il est vrai que tout péché nuit à l’Église et à la société, de sorte qu’« on peut attribuer indiscutablement à tout péché le caractère de péché social ». Cependant, cela est particulièrement vrai pour certains péchés qui « constituent, par leur objet même, une agression directe envers le prochain ». Saint Jean-Paul II explique que la répétition de ces péchés contre les autres finit souvent par renforcer une « structure de péché » nuisant au développement des peuples. Cela est souvent ancré dans une mentalité dominante qui considère normal ou rationnel ce qui n’est rien d’autre que de l’égoïsme et de l’indifférence. Ce phénomène peut être défini comme une « aliénation sociale » : « Une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation de ce don et la constitution de cette solidarité entre hommes ». Ce n’est pas seulement une norme morale qui nous pousse à résister à ces structures sociales aliénées, les mettre à nu et susciter un dynamisme social, qui restaure et construit le bien, mais c’est la « conversion du Cœur » elle-même qui « impose l’obligation » de restaurer ces structures. Telle est notre réponse au cœur aimant de Jésus-Christ qui nous apprend à aimer.
n. 200 Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse. S’il est vrai que la réparation implique le désir de compenser les outrages commis contre l’Amour incréé par les oublis ou les offenses, le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple « consolation » au Christ (…), et se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du cœur du Christ.
n. 202 Les souffrances sont souvent liées à notre ego blessé, mais c’est précisément l’humilité du cœur du Christ qui nous montre le chemin de l’abaissement. Dieu a voulu venir à nous en s’humiliant, en se faisant petit. (…) Lorsque le Christ dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), il nous indique que « pour s’exprimer, il a besoin de notre petitesse, de notre abaissement ».
n. 203 Il est important de noter, dans ce que nous avons dit, plusieurs aspects inséparables. En effet, ces actes d’amour du prochain, avec les renoncements, les abnégations, les souffrances et les peines qu’ils comportent, remplissent cette fonction réparatrice lorsqu’ils sont nourris par la charité du Christ qui nous rend capables d’aimer comme Il a aimé. Et c’est de cette manière qu’Il aime et sert à travers nous. Si, d’un côté, il semble s’abaisser, s’humilier parce qu’Il a voulu montrer son amour à travers nos gestes, d’un autre côté son Cœur est glorifié et manifeste toute sa grandeur dans les œuvres de miséricorde les plus simples. Un cœur humain qui fait place à l’amour du Christ par une confiance totale, et qui Lui permet de se déployer dans sa vie par son feu, devient capable d’aimer les autres comme Lui, en se faisant petit et proche de tous. C’est ainsi que le Christ se désaltère et répand glorieusement en nous et à travers nous les flammes de sa tendresse brûlante. Remarquons la belle harmonie de tout cela.
n. 205 La proposition chrétienne est attrayante lorsqu’elle est vécue et manifestée dans son intégralité, non pas comme un simple refuge dans des sentiments religieux ou dans des rites somptueux. Quel culte serait rendu au Christ si nous nous contentions d’une relation individuelle, sans nous intéresser à aider les autres à moins souffrir et à mieux vivre ? Peut-on plaire au Cœur qui a tant aimé en restant dans une expérience religieuse intime, sans conséquences fraternelles et sociales ? Soyons honnêtes et lisons la parole de Dieu dans son intégralité. Cependant, et pour cette même raison, il ne s’agit pas non plus d’œuvrer à une promotion sociale dépourvue de sens religieux qui, en fin de compte, voudrait donner à l’homme moins que ce que Dieu veut pour lui. C’est pourquoi nous devons conclure ce chapitre en rappelant la dimension missionnaire de notre amour pour le cœur du Christ.
n. 208 Saint Paul VI, s’adressant aux Congrégations qui propageaient la dévotion au Sacré-Cœur, rappelait qu’« il ne fait aucun doute que l’engagement pastoral et le zèle missionnaire brûleront plus intensément si les prêtres et les fidèles, pour propager la gloire de Dieu, contemplent l’exemple de l’amour éternel que le Christ nous a montré et orientent leurs efforts pour faire participer tous les hommes à l’insondable richesse du Christ » (14). À la lumière du Sacré-Cœur, la mission devient une question d’amour, et le plus grand risque est que beaucoup de choses, qui sont dites et faites dans cette mission, ne parviennent pas à provoquer la rencontre heureuse avec l’amour du Christ, qui embrasse et sauve.
n. 209 La mission, comprise dans la perspective du rayonnement de l’amour du cœur du Christ, a besoin de missionnaires amoureux, toujours captivés par le Christ et qui transmettent inlassablement cet amour qui a changé leur vie. Il leur sera alors pénible de perdre leur temps à discuter de questions secondaires ou à imposer des vérités et des règles. Leur souci majeur sera de communiquer ce qu’ils vivent, et surtout que d’autres puissent percevoir la bonté et la beauté du Bien-Aimé à travers leurs pauvres tentatives. (…)
n. 214 Par conséquent, si nous nous engageons à aider quelqu’un, cela ne signifie pas que nous oublions Jésus. Au contraire, nous le rencontrons d’une autre manière. Et lorsque nous essayons de relever et de guérir quelqu’un, Jésus est là, à nos côtés. En fait, il est bon de se rappeler qu’en envoyant ses disciples en mission, « le Seigneur agissait avec eux » (Mc 16, 20). Il est là, travaillant, luttant et faisant le bien avec nous. D’une manière mystérieuse, c’est son amour qui se manifeste par notre service, c’est lui qui parle au monde dans ce langage qui parfois n’a pas de mots.